dimanche 20 juillet 2014

Congés payés

Tu t’appelleras Martin. Parce que depuis tous ces mois que je t'ai dans la tête, c'est avec ce prénom que je te parle. Je t'ai croisé plusieurs fois, dans les tréfonds du métro parisien brûlant, sur le bord du bassin de la piscine municipale ou encore au centre commercial avant d'aller déjeuner avec lui. Je t'ai porté dans mon ventre ; tu me l'as tordu bien des fois. J'ai souvent imaginé ton histoire. J'ai répété et répété des centaines de détails qui te font exister.

Je t'aperçois hier midi, dans ce parc avec ton sandwich au beurre. Tu leur as dit oui pour ces vacances à la mer. Tu t'es laissé tenter par ces jolis horizons et une maison avec piscine. Tu n'étais pas bien sûr de toi mais tu as réussi à relativiser ton gros ventre. Tu l'as rendu tout plat, tout bronzé, tout musclé. Juste quelques minutes, le temps d'un SMS qui disait "C'est OK pour moi". Les jours passent, l'été bouscule le printemps et le départ s'approche. Ils ont hâte. Ils ont déjà tout prévu.

S'ils savaient...

Alors, mec, va falloir faire avec maintenant. Va falloir faire avec tes trois bourrelets pyramides qui se détachent sous ton polo. Va falloir oublier ces dizaines de cicatrices nées de tes hanches et qui courent jusqu'à ton nombril, les cicatrices du gamin qui a grandi trop vite. Va falloir assumer les deux blocs de gras que tu as soigneusement fait pousser à la place de tes cuisses, ceux qui s'irritent à force de se frotter l'un contre l'autre dans ton short transpirant.

Et eux ils ont hâte. Ils parlent de vélo, de bains de minuit, de crème solaire. Ils sont libres dans leur corps intact, lisse et sensuel. Tu es étriqué dans le tien, martyrisé, rougi et charnu.

Pour eux ce sont des vacances. Pour toi, c'est aussi une épreuve. Chaque minute. Pour éviter la douleur physique d'un corps inadapté, pour éviter la douleur psychique de leurs jugements silencieux. Tu as beau savoir que la seule épreuve au fond, c'est celle que tu t'infliges, tu as toujours cette boule dans ton gros ventre. Celle qui te donne la nausée tous les matins en enjambant la baignoire.

Tu vas me dire que je t'emmerde. Tu vas me dire que tu sais bien que je n'écris que quand je sombre un peu et qu'à la place je devrais te foutre la paix. Tu le sais bien oui, puisque pour toi c'est pareil.

Allez Martin, arrête un peu. Toi aussi tu m'emmerdes à la fin.

2 commentaires:

  1. "Tu as beau savoir que la seule épreuve au fond, c'est celle que tu t'infliges, tu as toujours cette boule dans ton gros ventre"
    Oh mon dieu cette phrase. Celle qui dit tout et qui le dit si bien, même si cette vérité fait si mal.

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