lundi 13 août 2012

Salope

On était en plein mois d'août, il faisait chaud, c'était insupportable. Les mains moites des voyageurs attrapaient maladroitement les barres dégueulasses du RER. Chacun essayant de ne pas trop bousculer son voisin, les yeux dans le vide ou absorbé par l'écran lumineux d'un smartphone. Elle s'est engouffrée dans le wagon dans sa jolie jupe fuchsia, sourde à toute perturbation extérieure, son casque argenté posé sur ses cheveux blonds. Un homme d'une cinquantaine d'années retint les portes et entra à sa suite. Il attira les regards agacés mais ne semblait pas en faire grand cas, visiblement plus intéressé par les volants de mademoiselle fuchsia.

Les portes claquèrent, en deux temps, et le train repartit. Le dernier arrivé respirait salement dans le petit cou blond de la jeune femme. J'observais la scène, son indélicat manège pour frôler les hanches de mademoiselle. Elle croisa mon regard, cherchant sans doute un appui. Les sourcils froncés, elle tentait vainement de s'extirper de l'étau qui l'enserrait, étriquée dans une foule compacte et indifférente. Au creux de sa petite épaule blanche, l'homme murmurait des obscénités dont je saisis quelques exemples d'une violence particulière, à base de salope, de fellation et de "je vais te prendre et t'humilier dans un coin".

Autour, chacun prenait grand soin à se concentrer sur la rubrique astrologie d'un journal gratuit, sur le plan de la ligne de RER ou encore sur ce putain de lapin RATP qui se coince la patte dans les portes. Je faisais partie de tous ces connards. Heurtée, choquée, mademoiselle fuchsia restait droite, immobile. Bloquée, littéralement bloquée. De grosses mains s'invitaient et s'agitaient sous sa jupe.

"La Croix de Berny."

"La Croix de Berny. Attention à la marche, en descendant du train."

Les portes s'ouvrirent. J'attrapai sa main et la tirai dehors. Moi, le putain de lâche.

J'attendis que le train reparte et qu'il n'y ait absolument plus personne sur le quai pour libérer sa main. De ses petites lèvres, elle souffla les pleins et les déliés d'un merci silencieux. Je lui fis un signe de tête et alors que j'allais lui proposer de s'asseoir, son téléphone sonna.

Elle s'excusa, s'éloigna et pleurait son dégoût dans l'oreille de son interlocuteur. Cela dura à peine quelques secondes. Je la regardais, inquiet, ses genoux pliaient dangereusement vers le sol jusqu'à lâcher complètement. Elle glissa contre un poteau. Je m'approchai doucement.

"Il voulait baiser. Putain. Lui aussi, il voulait baiser. J'ai l'air d'une pute, c'est ça ?"

Le prochain train arrivait déjà. Elle disparut dans la foule, je restai sur le quai.
Je n'ai pas eu le temps de lui dire qu'elle n'avait pas l'air d'une pute.
Je n'ai pas eu le temps de lui dire que j'étais désolé.

1 commentaire:

  1. Toutes (?) les filles ont subi plus ou moins une humiliation de la sorte, pour l'avoir vécu je sais que la réaction d'entraide venant d'un/e voyageur/euse aide un peu à décompresser. J'ai remarqué (pour mon expérience personnelle)que lorsque je suis malade ou au bord de l'évanouissement, plusieurs personnes (parfois 4 ou 5 !) viennent s'occuper de moi, me demander qui prévenir, me proposer de l'eau/un biscuit/des mouchoirs/un siège libre voire attendre avec moi qu'on vienne me chercher à la sortie du métro (véridique), en revanche dès qu'il s'agit de se faire emmerder, il y a beaucoup moins de monde à la rescousse. Je le prends du bon côté en voyant qu'au moins je ne syncoperai jamais toute seule dans mon coin :)

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