lundi 4 février 2013

L'effeuillage


Alice poussa la porte en verre du salon de coiffure. Instantanément, elle jaugea la clientèle, s’assurant alors d’avoir pu éviter les vieilles connaissances à qui l’on n’a plus rien à dire. La coiffeuse ne lui demanda pas son nom ni même si elle avait rendez-vous. Agile et légère, elle fit semblant de la reconnaître et lui pria de patienter dans l’un de ces grands fauteuils noirs aux délicieux coussins prune. Alice retira lentement sa longue écharpe, trois fois retenue autour de son petit cou, pour la glisser dans la manche de sa veste en similis cuir. Elle tira le pompon gris qui retenait ses longs cheveux blonds. Leurs mèches aux milles nuances se déployèrent sur ses rondes épaules et envahirent son dos jusqu’à caresser ses reins.

Il m’aime.

Elle considéra la petite table basse sur laquelle se répandaient les pages de ces magazines que l’on ne lit plus que dans les salles d’attente des médecins. Quand l’on préfère se noyer dans un VSD de mai 2008 plutôt que de se faire l’écho du lourd silence de ces oppressants murs blancs aux conseils avisés. Alice tournait les pages deux par deux, acidulées aux potins qu'on connait, jetant quelques coups d'oeil dans les miroirs du salon.

Un peu.

La coiffeuse encaissa l’une de ses clientes à la permanente satisfaite et fit quelques courbettes dans de grands gestes chaleureux et colorés. Elle s’empara du sèche-cheveux pour chasser du sol les restes de ses habiles coups de ciseaux qu'elle enferma dans un curieux placard sans autre utilité. Elle pencha ses lèvres carmin en direction d’Alice et lui proposa un café ou un thé mademoiselle. Mademoiselle refusa dans un murmure habitué.

Beaucoup.

La coiffeuse troqua une blouse noire au col étriqué contre sac, manteau et bonnet. Alice l’enfila lentement, plus tellement sûre d’avoir choisi le bon sens. On va passer aux bacs, je vous en prie, suivez-moi. Elle redoutait ce moment terrible où il s'agissait de faire la conversation. Oui, la température est parfaite. Je travaille dans le tourisme. En CDI oui, j'ai de la chance, avec la crise, c'est sûr. Votre nièce va trouver, il ne faut pas perdre espoir. Non, pas de soin, merci. Bientôt 25 ans déjà, ça passe si vite. Je vous en prie. Et toute cette pluie, ça n'arrête pas ! Très bien, je vous laisse vous installer à côté de madame Bigoudis.

Passionnément.

Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
On coupe. Marcia et ses jambes aiguisées s'élevaient du vieux poste de radio, depuis la bouche immense de Catherine Ringer. On coupe tout. Alice retint les regards de madame Bigoudis et de ses copines qui se penchèrent les unes vers les autres dans un brouhaha général étouffant. De si beaux cheveux ma bonne dame, on n'a pas idée de faire pareille erreur dites donc ! La coiffeuse s'assura à plusieurs reprises que la requête d'Alice ne serait pas regrettée. S'il vous plait, coupez.

A la folie.

Des dizaines et des dizaines de longues mèches blondes tombaient lourdement sur le carrelage. Ces bouts d'Alice inondaient le sol du salon qui, tout entier, retenait son souffle et souffrait un peu. La coiffeuse effeuillait sa marguerite dans de grands coups de ciseaux maîtrisés. Sa cliente restait impassible, dure, froide. Dans le miroir, elle observait les mains de son tendre bourreau s'agiter à regrets. La coiffeuse s'arrêta dans un dernier geste sur le front dégagé de la jeune femme, les yeux embués.

Pas du tout.

Patienter, et puis tout recommencer.

1 commentaire:

  1. Je crois que je tombe toujours un peu amoureux des filles qui s'appellent Alice. Ca doit être un prénom-piège.

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