Demain sera définitivement le dernier jour de toute ma scolarité. Les deniers examens suivront et la transition, je l'espère, sera douce. Je me retourne sur toutes ces longues et finalement si brèves années comme chacun a coutume de le faire de temps en temps.
Je me revois devant la porte de la maison, le cartable vissé et la peur qui tenaille le ventre et m'enferme un peu plus dans mon angoisse. Petite fille un peu trop sensible, au coeur un peu trop serré de quitter les bras de sa mère et le doudou qui rassure. La trouille qui attrape la gorge et qui rappelle à la séparation du matin. Je me revois devant cette porte et c'est avec tendresse que j'y pense. Des années durant, j'ai eu le ventre en compote et je crois bien que je n'en aurai jamais vraiment fini avec ça. Je me vois encore, timide, rougissante et effrayée, les yeux grands ouverts. Petite blonde qui a peur de tout mais qui chaque jour gravit la montagne qui se dresse.
Il y a ces souvenirs là, organiques. Mais il y a aussi les souvenirs plus concrets, dont je me souviens avec une étrange exactitude. C'est par exemple ce jour là, en CE1, où Martine, ma maîtresse, avait déchiré toutes les pages de mon petit cahier parce que j'avais collé les images dans le bon ordre mais qu'il fallait attendre son aval avant de les coller. Peut-être est-ce de ce moment précis que me vient ma rigueur à respecter les règles et à jouer le jeu de l'école. Ou peut-être est-ce plus ancré dans ce que je suis, lié à cette angoisse sortie avec moi du ventre de ma mère.
Il y a aussi ce jeu idiot mais qui me paraissait tellement réel. Le jeu des gouttes d'eau. J'avais un camarade, Morgan, avec qui je passais le plus clair de mes récréations de CP et avec qui j'avais inventé ce fameux jeu. J'y croyais tant que j'ai encore l'impression que ces énormes gouttes d'eau qui nous tombaient sur la tête ont bel et bien existé. Il fallait les éviter, s'aider, s'accrocher aux rambardes et ne pas toucher le sol sans quoi l'on risquait la noyade pure et simple. J'aimerais encore croire à ces jeux là, à ces inventions de l'enfance que l'on ressent dans tout son corps. Ces expériences imaginaires que l'on se construit et qui stimulent à tel point que même quinze ans plus tard on hésite encore, on se dit que peut-être... après tout... ça pourrait être vrai, non?
Petit à petit, j'ai passé les étapes, vécu les humiliations de la cour de récré, eu mes premières lunettes, mes premières cordes à sauter, gagné mes premières parties de balle aux prisonniers et mes premiers 20/20 en dictée. Je suis devenue ce que je suis encore mais en un peu plus grande pour le comprendre. La bonne copine à qui l'on dit tout et que l'on invite à son anniversaire. Mon agenda était des plus complets en CM2 !
Vint ensuite le collège. Une période importante et sans doute la plus difficile. Il fallait assumer les changements que toute jeune fille observe. Assumer également les premières émotions du coeur, quand ça bat un peu plus vite mais que l'on ne comprend pas bien d'où ça vient. Je faisais tous ces trucs idiots comme conserver soigneusement les billes des cartouches d'encre pour les donner à celui que je convoitais et qui les collectionnait. R., c'était lui mon premier coup de coeur, mon premier bisou à l'appareil dentaire et à l'éternelle question du sens de la langue et de la distance à respecter lors d'un slow merveilleusement interprété par Mariah Carey, Britney Spears ou encore Eve Angeli à sa grande époque. Je commençais aussi à écrire, à chanter. Je commençais à canaliser mes émotions et à devenir une petite artiste à ma façon. J'écrivais des histoires d'amour et de robot et je chantais sur les bandes karaoké des singles de Lorie. C'était aussi le temps de la première rupture, peut-être la plus brûlante. J'ai pleuré toutes les réserves de larmes que je n'avais pas encore épuisées, c'était un 3 décembre, en 4e, sous le préau. Juste après, j'avais Histoire. Des histoires justement, il y en a eu d'autres. Qui chamboulent la jeune fille que je devenais doucement. Le collège, c'était dur mais c'était l'apprentissage des relations aux autres, des différences, de la cruauté du monde, de l'amour qui passe, de l'amitié qui dure encore.
C'est au collège que j'ai fait mes premiers pas sur le web. Les prémisses de la geekette en quelque sorte. Le tchat du collège et mon statut de modératrice. Une belle période qui a aussi amené sont lot de difficultés et un évènement en particulier, compliqué à gérer, encore maintenant et sûrement pour le reste de ma vie. On l'appellera H. Il a bouleversé la jeune fille que j'étais, il l'a dépouillée de tout ce qui lui restait d'enfance, d'innocence. C'était juste avant de rentrer au lycée. Le grand saut. Ou la chute.
Arriva la Seconde. J'étais alors ce qui se rapproche le plus d'une ombre pendant plusieurs mois, incapable de sortir de cette chambre noire, de quitter mes pensées les plus dures, de rassembler ce que j'avais en moi de force. Il fallait se relever, doucement, je prenais mon temps. Étrangement, c'est un autre R. qui m'a sortie de ma léthargie et qui a ouvert les vannes. Je redevenais plus vivante. J'étais douée pour les cours, j'avais ça pour moi mais c'était aussi la source d'un grand stress. Ne pas fléchir dans le seul domaine que l'on maîtrise. J'ai passé l'adolescence et le lycée avec mes premières sorties le soir, mes premières concerts, mes premiers mensonges parentaux, les heures de code, les TP de dissection, les tranches de rigolade avec M., les allergies pendant le bac. Et le bac tout court. Le premier vrai diplôme si l'on excepte le brevet. C'est aussi l'heure des grands choix d'avenir et des grands discours sur l'importance des études. J'ai pris prépa. Il parait que j'étais faite pour ça, que c'était fait pour moi. Soit.
La prépa, c'était pas pour moi. Mettre de côté sa sensibilité et toute vie sociale en dehors des pauses cafés. Mettre de côté ses angoisses, s'acharner dans le vide, sans garantie de résultat, sans réel but ou si lointain... Si ce n'était pas pour moi, c'est très certainement l'année charnière entre la jeune fille et la jeune femme. Ce sont des rencontres dont aujourd'hui je ne pourrai me passer, la naissance d'une amitié puissante mais pudique avec F. Ce sont les premières sessions acoustiques à la guitare et le passage du permis. La prépa, c'est beaucoup de choses condensées en quelques mois. Beaucoup d'émotions de tous les genres d'émotions qui peuvent exister. Beaucoup de textes, un grand besoin de faire ressortir une grande angoisse, de grands élans. La prépa, c'est aussi J. mais ça c'est une autre histoire... L'été qui suivit, j'étais purement terrifiée par le simple fait de remettre les pieds là-bas. Je m'en rendais malade. Je fléchissais. Pour la première fois, je devais renoncer dans mon domaine de prédilection, je me le devais. J'ai accepté, j'ai grandi.
Les quatre années qui ont suivi, professionnellement déterminantes, sont passées à une vitesse fulgurante. J'ai même du mal à évoquer des souvenirs précis tant ils se confondent les uns dans les autres. La deuxième année de licence était celle des rencontres, de ce groupe d'amis aujourd'hui encore si précieux. C'était une liberté nouvelle, la vie étudiante, la vraie vie. J'étais sortie du carcan infernal de la prépa et de ses contraintes. Un soulagement. Je n'ai sûrement pas encore le recul nécessaire pour parler avec justesse de ces années là alors je préfère ne pas trop les égratigner. Pas encore. Peut-être parce que je n'ai pas envie de m'avouer que cette fois, ça y est, je vois le bout, je le touche, demain ce sera terminé.
Demain, à 17h, je terminerai le dernier cours de toute ma scolarité. J'aurais aimé que ce soit un jour original, que l'on en retienne quelque chose, que l'on soit un peu ému, qu'il y ait quelque chose dans l'air. Mais je ne le vivrai pas avec ceux qui ont fait de ces années probablement parmi les plus importantes de ma vie. Aucun d'eux ne sera là. Il n'y aura pas de nostalgie partagée et de sourires complices. Il n'y aura pas de verre au bar du coin ni de barre de RER en commun. Je serai seule à tourner la page. Si seulement j'y arrive...
C'est triste... et tellement vrai. De quoi faire un bilan de mon côté sans même le vouloir.
RépondreSupprimerYé souis émou.
RépondreSupprimerC'est bien écrit, c'est vivant. J'ai envie de dire : "Voilà ! " en levant les bras au ciel comme un professeur exigeant enfin satisfait.
Mais je n'enseigne rien. x)
Continue à écrire. Ou en tout cas, considère que ce ne serait pas une connerie, et que tu ne sembles donc pas douée seulement en "bonnes notes".
Je vais essayer alors... de continuer. J'ai eu l'impression en me relisant là tout de suite que c'était bourré de clichés tout ça. Je les mets de côté, je serai contente de retomber dessus dans quelques années.
RépondreSupprimerMerci...
Ouais.
RépondreSupprimerLes clichés? Pas tant que ça. Et puis, ils n'existent pas pour rien, je pense.
Je pense aussi qu'il ne faut pas reléguer au placard, voire pire, supprimer ses vieux textes.
("Bon, d'accord, j'ai une grosse tendance à crisper la mâchoire et à mitrailler "Suppr" quand j'écoute mes enregistrements...)
Tout ça pour dire que ça reste toi, même si c'est le toi du passé. En relisant, c'est toujours bien pour voir le chemin que t'as parcouru, comment tu te sentais à telle époque, quelles étaient tes priorités, etc...