C'était un soir d'avril, juste avant que le soleil ne se couche dans un ciel multicolore. Jeanne était à la fenêtre de la cuisine de son appartement du 1er étage. Penchée sur la rambarde, les yeux fermés, elle sentait cet air doux qui annonçait les beaux jours, un semblant d'été dans un silence religieux. Elle se voyait déjà en terrasse, se délectant d'un apéritif prolongé jusqu'à tard le soir, quand le soleil pousse un peu la lune. Cette impression de gagner du temps sur la vie, d'aller jusqu'au bout du jour, d'être pleinement là et de faire vibrer ses sens.
Jeanne s'y voyait déjà... là, en été... flânant dans les rues de la ville déserte au petit matin du mois d'août. Elle irait dans cette boulangerie qu'elle connait bien et demanderait deux croissants au beurre tout juste sortis du four. Elle craquerait pour deux ou peut-être même trois chouquettes, sucrées à s'en damner. Ce serait son petit plaisir gourmand, redécouvrant ces saveurs coupables qu'elle avait mis tant d'ardeur à oublier. Elle rentrerait par les petites ruelles qu'elle seule pouvait connaitre, ces petites ruelles dans lesquelles elle avait parfois caché ses peurs et ses déceptions.
Elle pousserait doucement la porte de l'appartement et y entrerait sur ses deux longues pattes de chat. Elle déposerait les deux croissants sur une petite assiette rouge et verserait du lait chaud dans deux tasses identiques. Une cuillère à café de poudre chocolatée pour le goût et une pointe de cannelle pour le sublimer. Elle se glisserait sans bruit sur la petite terrasse et plongerait ses deux grands yeux bleus dans celui qui l'attendrait déjà. Le plus surpris n'est pas toujours celui qu'on croit.
Cet avant-goût d'été qui la prenait toute entière ce soir, c'était comme s'enrouler dans un drap de soie et plonger les orteils dans le sable chaud, c'était croquer dans un fruit juteux et penser que demain... demain c'est encore loin.
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