Au hasard, en passant, au détour d'un tiroir, elle essaya son vieux maillot. Des années qu'elle l'avait raccroché sans plus jamais l'user. Oh, elle l'avait enfilé, parfois. Plusieurs fois, pour voir. Et c'était toujours le même constat, le même mal aise. Cette fois, elle pensait que ce serait différent. Et ça l'était. Elle se tournait, regardait ses fesses dans le miroir. Elle notait sa courbe un peu plus fluide et sa taille un peu plus fine. C'était vraiment différent, c'était évident. Il y avait encore quelques petites choses à accepter, des défauts à reléguer loin, loin. Passer outre, s'en défaire, leur balancer toute leur insignifiante existence dans la gueule. Cette fois, c'était la bonne.
Elle enfila un jean et un tee-shirt au-dessus du maillot. Vérifia que tout était bien en place. Fouilla dans son armoire, tout au fond, bien derrière et à force de petits sauts désespérés, atteint enfin le Graal. Les lunettes et le bonnet floqué de son ancien club. Les Oursins. Elle avait encore le geste habile, attrapant ses cheveux d'une main, les couvrant par la nuque de ce silicone bleuté. Bon. Rien de très sexy mais ça faisait partie du jeu. Elle le retira immédiatement, électrisée, puis prépara son sac comme elle l'avait fait tant de fois, trois fois par semaine. Bouteille d'eau, jeton pour le vestiaire, brosse à cheveux, gel douche, serviette grand format. Enleva boucles d'oreilles, bracelets et bagues.
Il s'agissait d'être rapide, d'empêcher l'angoisse de se pointer. Elle fourra quelques pièces dans sa poche, son permis, les clefs de la voiture. Un élastique, elle allait oublier l'élastique. Remonta les marches quatre à quatre pour en dégoter un parmi son bordel dans la salle de bain. Elle rageait mais finit par en trouver un, vert, moche, tant pis.
Tant pis.
Trop tard. C'était trop tard. Elle se laissa aller lourdement sur le canapé. Lourdement. Elle considéra longtemps la table basse pour éviter de s'arrêter sur ce qu'elle avait mis tant de temps à accepter à force de frustrations. Elle pensait que ça irait. Qu'avec tous ses efforts, ça passerait. Que, comme tout le monde, elle n'aurait plus honte. Qu'elle retrouverait la nageuse décomplexée qu'elle fut il y a quelques années. Il y a un siècle. Elle pensait qu'elle irait faire la belle sur la plage, qu'elle assumerait les défauts qui restent car plus légers, plus acceptables, plus proches de la norme.
Elle considéra longtemps la table basse, pour éviter de se considérer elle-même. Remonta les marches, vida son sac sur le lit et prit soin de remettre à leur bonne place lunettes, bonnet et maillot, loin, bien derrière, tout au fond. Chaque chose en son temps.
Photo : Ibai Acevedo
Photo : Ibai Acevedo
J'aime beaucoup...
RépondreSupprimerEt puis c'est exactement ça, aller plus que l'angoisse, que la honte. J'y arrive pas non plus.
A la piscine, je bénis ma myopie. Grâce à elle, je ne vois pas les gens me regarder.
RépondreSupprimerTiens, ça me donne une idée d'article, pour le coup. Merci bien.
Mais de rien ! Je ne suis pas assez myope mais j'y penserai. Peut-être que dans quelques années...
RépondreSupprimerArticle fait.
RépondreSupprimerN'attends pas la myopie, ou ne la provoque pas exprès, quand même ! : )